TEMOIGNAGES - ACTUALITES

Publié le par Theophile




   
 







MOSCOU CORRESPONDANCE


Lors d'un entretien accordé à Radio Free Europe, la journaliste russe Anna Politkovskaïa avait annoncé qu'elle préparait un article sur la torture en Tchétchénie. Deux jours plus tard, le 7 octobre, elle était assassinée. Le bihebdomadaire Novaïa Gazeta a publié, jeudi 12 octobre, son dernier article, inachevé, ainsi que des photographies extraites d'une vidéo envoyée à son nom à la rédaction. Le journal demande à la personne qui a transmis cette vidéo à la journaliste de se manifester.

 
L'article est intitulé "On te sacre terroriste ", et décrit comment, selon Anna Politkosvkaïa, "l'opération antiterroriste dans le Caucase du Nord", le nom officiel de la guerre, consiste à arracher par la torture des aveux de jeunes Tchétchènes, et à fabriquer sur cette base des enquêtes criminelles. Le texte commence ainsi : "Devant moi, chaque jour : des dizaines de dossiers. Ce sont les copies des enquêtes criminelles sur des gens emprisonnés pour terrorisme ou suspectés. Pourquoi le mot terrorisme entre guillemets ? Parce qu'une grande majorité de gens ont été sacrés terroristes . Et cette pratique de sacrer terroriste n'a pas seulement supplanté, à l'aube de 2006, toute forme de lutte antiterroriste, elle a elle-même commencé à engendrer bon nombre de personnes qui veulent se venger, donc de potentiels terroristes.
 
Quand le parquet et les juges travaillent non pas à partir de la loi et en condamnant les coupables, mais sur commande politique et en produisant des rapports antiterroristes qui sont agréables au Kremlin, alors les affaires criminelles se fabriquent aussi vite que des petits pains", écrit Anna Politkovskaïa. "La production en série d' aveux de plein gré fournit à merveille de bons chiffres pour la "lutte contre le terrorisme dans le Caucase du Nord." La journaliste s'appuie sur deux témoignages. Le premier est une lettre reçue de mères de jeunes Tchétchènes détenus. Elles y comparent les centres de détention à des "camps d'extermination pour Tchétchènes condamnés". "Sincèrement, j'ai peur de leur haine, parce qu'elle va déborder. Tôt ou tard, commente Anna Politkovskaïa. Et les victimes seront tout un chacun, et pas seulement ceux qui les ont torturés. Le résultat, c'est l'augmentation de ceux qui ne veulent pas se soumettre." Comme dans de nombreux articles, Anna Politkovskaïa produit des éléments concrets. Elle insère ici un long témoignage : celui d'un Tchétchène torturé alors qu'il vient d'être extradé d'Ukraine.
 
"Après mon arrivée d'Ukraine vers Grozny, on m'a convoqué et, tout de suite, on m'a demandé si j'avais tué des gens. J'ai juré que je n'avais tué ou répandu le sang de personne, ni russe ni tchétchène. Ils m'ont répondu : Non, tu as tué. J'ai continué à nier. Ils ont aussitôt commencé à me battre. On m'a donné deux coups de poing près de l'œil droit. Ils m'ont lié les mains et m'ont mis des menottes. Entre les jambes ils ont accroché un tube, pour que je ne puisse pas bouger les mains. Après, ils m'ont suspendu entre deux meubles, à un mètre de hauteur. Ils ont accroché des fils à mes petits doigts. Ils ont branché le courant et, en même temps, me battaient avec des matraques en plastique, partout où ils voulaient.
 
Ne supportant pas la douleur, j'ai commencé à crier, en implorant le Seigneur et en les suppliant d'arrêter. En guise de réponse, pour ne pas entendre mes cris, ils m'ont mis un sac noir sur la tête. Je ne me souviens pas exactement combien de temps cela a duré. Mais j'ai commencé à perdre connaissance à cause de la douleur.
 
Après, ils m'ont décroché du tube et m'ont jeté sur le sol. Ils ont dit : Parle! J'ai répondu que je n'avais rien a leur dire. A cause de ces coups, je suis tombé sur le côté gauche et j'ai presque perdu connaissance, mais je sentais qu'ils me battaient. Je ne sais pas combien de temps cela a duré, je m'en souviens pas, ils versaient tout le temps de l'eau sur moi.
 
Le lendemain ils m'ont lavé, et badigeonné le visage et le corps de quelque chose. Au même moment un policier habillé en civil est venu vers moi et m'a dit que des journalistes étaient arrivés, et que je devais reconnaître être l'auteur de trois crimes et d'autres actes de banditisme. Ils m'ont menacé : si je n'étais pas d'accord, ils recommenceraient. Et ils m'ont humilié, en m'infligeant des outrages à caractère sexuel.
 
J'ai accepté. Après avoir donné une interview, il m'ont menacé encore des mêmes supplices, me forçant à déclarer que tous les coups que j'avais reçus d'eux, qu'ils m'avaient portés, je les avais reçus lors d'une tentative de fuite."
L'avocat de ce jeune Tchétchène portant le nom de Beslan Gadaev a déclaré à des responsables de l'organisation de défense des droits de l'homme Memorial qu'il avait été détenu dans un commissariat de police d'un quartier de Grozny.
 
Madeleine Vatel
LE MONDE | 12.10.06 | 12h23  

Publié dans sos-tchetchenie

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